PAR Régine Meunier Mis à jour le 02/05/2017 à 11:12 Publié le 02/05/2017 à 10:50

En 1907, le maire écrit un message qu'il dissimule dans la façade de la cave coopérative. Il a été mis au jour lors de travaux et trouve une résonance dans la campagne présidentielle.
Depuis 110 ans, la cave coopérative de Camps-la-Source cachait un secret. Il s'en est passé des vendanges, des réunions entre coopérateurs, des coups de gueules, des fêtes et des travaux sans que nul ne le découvre.
Il a été mis au jour par un ouvrier d'une société d'insertion brignolaise. Il décroûtait la façade de la cave coopérative lorsque son foret s'est enfoncé soudainement dans le mur, comme s'il avait touché le vide.
Vide, la petite cavité ainsi dégagée ne l'était pas. Elle contenait une boîte en fer, bien rongée par le temps et rouillée par l'humidité. À l'intérieur, toute repliée, une enveloppe jaunie à en-tête de la mairie de Camps, et du maire M. Marin avec ces quelques mots écrits à la plume: «À celui qui ouvrira cette boîte, mon salut socialiste. 1er juillet 1907.»
Un message anticapitaliste

Le maçon a vite fait de la décacheter et d'en sortir une lettre. Marcellin Marin, le maire, maréchal-ferrant de son état, a une écriture élégante, légèrement penchée. Les majuscules tracent de belles arabesques. Derrière ce raffinement se cache un homme de conviction, qui a voulu transmettre un message aux générations futures. Le hasard a voulu qu'il soit découvert en pleine campagne présidentielle. Et il fait mouche (lire son intégralité ci-dessous).
Il y dénonce dès les premières phrases «l'exploitation des grands capitalistes», «les impôts très lourds à payer par le populo.» Autant d'arguments qui ont incité 100 petits propriétaires de la commune, qui s'appelle alors Camps-les-Brignoles, à bâtir la première coopérative vinicole du Var et la seconde de France. Elle est inaugurée le 3 février 1907.
«C'est le seul moyen pour nous débarrasser des exploiteurs qui pullulent à notre époque depuis le plus bas jusqu'au plus haut de l'échelle sociale.» Des mots abandonnés à la postérité, présageant la fin d'un monde et espérant la naissance d'un autre, plus juste, plus solidaire.
Marcellin Marin, libre-penseur, voyait ou espérait la disparition des individualismes et la naissance de la solidarité. Il a été le premier président de cette coopérative vinicole. On n'y presse plus le raisin depuis 1993.
Pour Bernard Vaillot, aujourd'hui maire de Camps-la-Source, la découverte de cette lettre en pleine campagne présidentielle «est un signe du destin. Ce texte est d'actualité quand on voit ce qui se passe avec cette élection. Pas grand-chose a bougé depuis.»
Une copie de ce trésor trop fragile pour être exposé, sera présentée au public à l'automne lors de l'inauguration de la cave réhabilitée.
«NUL N’A DROIT AU SUPERFLU TANT QUE CHACUN N’A PAS LE NÉCESSAIRE»
Voici de larges extraits de ce texte tel qu’il a été écrit avec quelques fautes:
«L’exploitation des grands Capitalistes. L’indifférence de nos gouvernements. La mévente des vins... La crise viticole qui sévit depuis 4 ans. La ruine des petits vignerons. Les impôts très lourd payé par le populo... N’attendant rien de l’action Législative, mais tout de l’action syndicaliste, 100 petits propriétaires de la Commune de Camps, avons formé une association sous le nom de Coopérative Vinicole de Camps.
Les membres de l’association apportent leurs raisins, qui deviennent anonymes. Le Conseil d’administration a seul le Droit de la Vente. Notre but est de former des Coopératives dans toutes les Commune viticole et de faire ensuite une grande fédération, et nous mettre en relation Commerciale avec les Coopératives de Consommation. C’est le seul moyen pour nous débarrasser des exploiteurs qui pullulent a notre époque depuis le plus bas jusqu’au plus haut de l’échelle sociale. Il n’y a partout que des gens sans pudeur et sans vergogne marchant à l’assaut furieux de l’assiette au beurre. Le prix de la journée des travailleurs de la terre est variable de 2,50 à 3 f. Nous avons confiance en l’avenir. Il y a encore beaucoup d’ignorance et par ce fait beaucoup d’avachissement... L’Antimilitarisme commence à se développer et nous espérons que les Conflits Sanglants finissent par disparaitre. Rare sont encore les hommes qui haut et ferme porte le Drapeau de la Révolution.
Mais la jeunesse des écoles laïques continuera notre œuvre. Notre devise est celle-ci: Nul n’a droit au superflu tant que chacun n’a pas le nécessaire.
À tous et à toutes mon salut fraternel.»
«Je pensais trouver un message laissé par les maçons»

Fabien Cuirano, 36 ans, est le chef du chantier de la cave coopérative. Il travaille pour la société Trancept Auteuil Insertion, basée à Brignoles. Il raconte sa découverte le 28 février dernier: «J’ai pensé qu’il s’agissait d’une vieille boîte à tabac. À midi lorsqu’on l’a ouverte avec Mohamed Amzaz qui travaille aussi sur le chantier, je croyais trouver les noms des maçons qui ont bâti la cave. Ils cachent souvent des témoignages dans les murs, en général leurs noms.
Je le fais parfois. La lettre était difficile à déchiffrer. On l’a remise au maire. On a vécu une jolie petite aventure. C’est touchant d’avoir trouvé ce message. Le gars n’est plus là mais il a laissé ce témoignage. La société n’a pas changé. Avec les gars on en a parlé plusieurs jours.»
Claude Arnaud, président de l’association d’Histoire Populaire Tourvaine, compte parmi les auteurs du livre Les coopératives vinicoles varoises. Un siècle d’histoire.
Montée du Var Rouge
Le rôle pionnier de Camps-la-Source et de son maire Marcellin Marin y est largement évoqué. «Après le coup d’état de 1851, les ferments sont là, explique-t-il. C’est la montée du Var Rouge, plus rouge que dans les autres départements et le mouvement coopératif va se construire, porté par plusieurs idéaux politiques dont ceux des socialistes et des radicaux. Au début du XXe siècle les viticulteurs n’arrivent plus à vendre leur vin. La crise du phylloxéra a d’abord détruit le vignoble, entraînant des importations. Puis le vignoble a été reconstitué grâce aux cépages américains. De la pénurie, on est entré alors dans une phase de surproduction où les petits viticulteurs étaient à la merci des négociants. La création de cette coopérative leur a permis de ne pas disparaître. Mélanger ses raisins avec ceux des autres, faire cuve commune, investir son argent dans le capital social et aller au-delà des individualismes très forts, une vraie révolution des mentalités! Le maire a dû faire de gros efforts de persuasion.»
Un maire qui a voulu défendre l’Union et Solidarité, deux mots toujours affichés sur le fronton du bâtiment, suivis de cette phrase sous le cadran solaire: «Passant ce cadran marque l’aube nouvelle. Réveille-toi paysan. Et ouvre les yeux.»

